السبت، 25 ماي 2013

Pourquoi les enfants de profs réussissent-ils mieux que les autres ?

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C’est une idée qui circule, que vous avez déjà entendue certainement, comme moi : les enfants de profs réussissent mieux que les autres à l’école. Une chercheuse s’est penchée sur cette question, décortiquée dans une thèse de 390 pages. Et bien d’après elle, c’est vrai, et voici pourquoi.


Les enfants d’enseignants ont de meilleurs résultats que les autres
Annie Da Costa-Lasnes a analysé les résultats scolaires des enfants de profs par rapport à ceux des autres enfants, et particulièrement par rapport aux résultats des enfants des cadres, aux caractéristiques sociales proches (elle tentera ensuite de comprendre d’où vient la différence entre ces deux publics). A tous les niveaux de la scolarité, les enfants d’enseignants ont de meilleurs résultats.
- dès le CP, les enfants de profs ont des résultats légèrement supérieurs à ceux des cadres ;
- à l’entrée en 6ème, 53,5% des enfants de profs appartiennent au quartile supérieur de réussite contre 48% des enfants de cadres ;
- en primaire, 97,5% des enfants de profs ne redoublent pas, contre 94,5% des enfants de cadres (90% pour les enfants de professions intermédiaires, etc.) ;
- 90,5% des enfants d’enseignants entrés en 6ème en 1995 ont obtenu leur bac en 2002 (87,5% chez les enfants de cadres), 81% au bac général contre 75,5% (56% pour les enfants de professions intermédiaires). "Le fait d’être enfant d’enseignant augmente la probabilité d’obtenir le baccalauréat de 3% par rapport au fait d’être enfant de cadre" constate Da Costa-Lasne ;
- ça continue dans l’enseignement supérieur : "En 2010, alors qu’en moyenne 53,5% des enfants nés en 1995 ont accédé à cette date à l’enseignement supérieur, 89,5% des enfants d’enseignants et 82,5% des enfants de cadres ont été dans ce cas (…). Plus des 3/4 de ces enfants sont sortis du système éducatif avec un diplôme de l’enseignement supérieur contre un peu moins des 2/3 des enfants de cadres. Ils se distinguent également par le plus fort taux d’obtention d’un diplôme de niveau au moins égal à un bac + 3. 63% d’entre eux obtiennent un tel diplôme contre 52% des enfants de cadres" ;
- enfin, les enfants d’enseignants ont le plus faible taux de redoublement sur l’ensemble de la scolarité (69% contre 64% chez les enfants de cadres) : "Les enfants d’enseignants sont donc près de 5% de plus que les enfants de cadres à n’avoir jamais redoublé pendant toute leur scolarité secondaire "
Comment expliquer cet "effet enseignant" sur la réussite scolaire ? Pourquoi les enfants d’enseignants réussissent-ils mieux à l’école que ceux de catégories sociales proches, telles les cadres ? Quels sont les processus familiaux de la fabrication de cette réussite ? La suite de l’étude apporte des éléments de réponse.

Les déterminants familiaux de la réussite scolaire
Evidemment, le niveau d’étude des parents, leurs pratiques culturelles, les ressources familiales, tout cela joue dans la réussite des enfants, mais au-delà, il existe un certain nombre de pratiques parentales favorables à la réussite des enfants. Ces pratiques, les parents enseignant les mettent en œuvre plus que les autres.
Pour l’auteur, qui s’appuie sur un fort corpus de recherches existantes, "deux dimensions principales des pratiques familiales éducatives sont à prendre en considération : les pratiques qui participent à la socialisation de l’enfant et les pratiques d’accompagnement de la scolarité. Privilégier l’épanouissement de l’enfant, respecter sa personnalité, fonder les relations parents-enfant sur la négociation et le contrat ou encore favoriser l’encouragement et l’initiative de l’enfant, telles sont quelques-unes des pratiques démontrées influentes sur les résultats scolaires. A propos des pratiques d’accompagnement de la scolarité, une participation parentale volontaire aux activités de l’école et un engagement actif dans les instances de prise de décision des établissements apparaissent favorablement associés à la réussite de l’enfant. Quant au suivi parental à l’extérieur de l’institution scolaire, l’enrichissement de l’enseignement proposé par la famille, le temps consacré au suivi et le caractère pédagogique des interventions des parents semblent contribuer à améliorer les performances scolaires. Enfin, du côté de la détermination parentale dans les projets scolaires, les aspirations scolaires élevées et exigeantes sont également montrées positivement influentes sur le succès scolaire."
Ces pratiques favorables sont générales, elles sont à l’œuvre pour tout ou partie chez des parents de types très différents. Mais ce que note l’auteur, c’est que "les parents enseignant sont proportionnellement les plus nombreux à mettre en œuvre les pratiques les plus en lien avec la réussite scolaire, et parmi ces dernières, ils sont proportionnellement les plus nombreux à mettre en œuvre les plus efficaces de toutes".

Les trois caractéristiques du modèle éducatif des parents enseignant
Affinant encore son étude, l’auteur établit ensuite trois directions éducatives qui semblent singulariser le modèle éducatif des parents enseignant.
A. La construction d’un être "complet" et singulier par l'éclectisme et la maximisation des pratiques culturelles : "Comparativement aux autres parents, et notamment vis-à-vis des familles de cadre(s), les parents enseignant(s) promeuvent intensément l’éclectisme et le cumul des pratiques culturelles avec l’ambition que leur enfant se distingue par la richesse de ses références culturelles, par une socialisation étendue et par la qualité des savoirs acquis. La diversification et la maximisation des pratiques culturelles doivent ainsi conduire à former un être « complet » aux références culturelles plurielles". Les enseignants pratiquent plus d’activités artistiques, plus intensément, font plus de sport, de jardinage, de bricolage, vont plus au cinéma, au théâtre, au musée, s’investissent plus au niveau associatif… (mais les mauvaises langues diront que c’est parce qu’ils ont plus de temps !). Leurs enfants sont les plus nombreux à pratiquer une activité en club, en association ou en conservatoire, vont plus à la bibliothèque, sont deux fois plus nombreux à suivre plusieurs activités, notoirement la musique. Les vacances familiales, éducatives ou de découverte sont privilégiées, les adolescents partent plus entre amis, travaillent plus l’été que les autres… Ils ont les plus nombreux à pratiquer une activité citoyenne ou civique, à participer à des mouvements de jeunes, maximisant les chances de varier les milieux fréquentés.
B. La construction d'un être "équilibré", autonome et responsable, par le travail de perspectives éducatives aux objectifs a priori opposés : "Les parents enseignant(s) s’appliquent ainsi spécifiquement à combiner des pratiques alliant affection et contrôle, encadrement et encouragement à l’autonomie, reconnaissance des autres et estime de soi. Loin de conduire à un modèle éducatif dissonant, la favorisation de perspectives éducatives aux objectifs a priori opposés l’équilibre". Notamment, les parents enseignant, par leur regard positif, transmettent confiance et sérénité à leurs enfants en matière scolaire, tout en maintenant un haut degré d’exigence. Ils encadrent aussi solidement qu’ils écoutent réellement leur enfant, développent leur altruisme autant que leur esprit de compétition, le tout avec dosage, progressivité et équilibre.
C. La gestion experte de la carrière scolaire de l'enfant par l'installation d'une grande continuité éducative, la constitution puis la valorisation d'informations scolaires non génériques et le contrôle de l'offre pédagogique de l'établissement fréquenté. "En complément du travail sur l’identité de l’enfant, les parents enseignant(s) œuvrent stratégiquement à l’optimisation de sa réussite scolaire. Selon cette dernière direction éducative, ils se distinguent des parents cadre(s) par l’installation d’une remarquable continuité entre la vie scolaire et la vie familiale. Les devoirs scolaires s’en trouvent parfaitement intégrés au quotidien familial [les parents enseignant déclarent pour 60% d’entre eux travailler à la maison, contre 10% des cadres, le travail est donc une activité familiale et domestique instinctivement admise par l'enfant]. Ces parents sont aussi ceux qui, grâce à leur travail permanent de prise d’informations sur le fonctionnement du système scolaire, de l’établissement et de la classe et par leur capacité à établir un diagnostic des forces et des faiblesses des enseignants ainsi que des compétences et des lacunes de l’enfant, détiennent la meilleure expertise éducative en matière de gestion de la carrière scolaire de l’enfant. Enfin, à la différence des parents cadre(s) d’abord soucieux du climat scolaire ou de la composition sociale de l’établissement fréquenté, les parents enseignant(s) cherchent à contrôler l’offre pédagogique. Une classe à faible effectif, des enseignants impliqués, des options et des filières sélectives sont les critères recherchés en priorité. Pour ces parents, la qualité des conditions d’apprentissages prime sur celle de l’environnement social. »

La transmission éducative : construire plutôt que léguer
L’auteur de l’étude met également l’accent sur la dimension active de la transmission : « Eu égard au haut niveau d’investissement, tant des parents que des enfants, exigé par chacune des trois directions éducatives décrites précédemment, conclure à un véritable travail de transmission familiale s’impose. La transmission éducative s’opère par un travail d’expert, conséquent et maintenu sur la durée de la part des parents, associé à un engagement constructif de la part de l’enfant. Au final, l’intrigante réussite scolaire des enfants d’enseignant(s) tient non seulement à des pratiques éducatives spécifiques mais encore à la mobilisation des acteurs familiaux dans leur mise en œuvre. »
La chercheuse conclut que les enfants d’enseignants ne sont pas des "héritiers" imprégnés d’une culture de classe, mais que leur réussite est le fruit de pratiques éducatives familiales stratégiques efficaces et d’un investissement parental permanent.

Un modèle menacé ?
C’est la question que pose en conclusion Annie Da Costa-Lasnes. D’après elle, de nombreux travaux montrent que "le poids des mécanismes de marché, notamment dans le supérieur favoriserait particulièrement les cadres issus du pôle privé. La forme de libéralisation du système que l’on observe aujourd’hui ouvrirait un espace de valorisation scolaire pour les plus forts capitaux sociaux et économiques. Ces logiques pourraient même, au détriment des élites culturelles dont font partie les enseignants faire basculer, non pas la fracture entre classe populaire et bourgeoisie, mais l’équilibre au sein même des classes moyennes et supérieures ; pour le dire vite, entre pôles public et privé, entre élite culturelle et élite économique". 

Des pistes…
… J’ai lu avec beaucoup d'intérêt cette thèse passionnante, bien écrite et parfaitement sourcée. Evidemment parce que je suis enseignant et parent, et que, égoïstement, ce qui est dit me rend confiant pour le futur de ma progéniture. Mais pas seulement. Il y apparaît entre autres très clairement que la réussite scolaire n’est seulement fonction de l’école et de l’enseignement pratiqué (lequel ne doit en aucun cas se dédouaner) comme on voudrait trop souvent le faire croire, et de plus en plus, mais qu’elle relève essentiellement de l’éducation parentale et familiale au sens le plus large et le plus noble. A l’heure où on cherche tous les moyens de lutter contre l’échec scolaire, mais en se cantonnant le plus souvent à l’intra-scolaire (où il y a évidemment beaucoup à faire), il y a dans le travail fait par cette jeune chercheuse, me semble-t-il, de nombreuses pistes à développer dans l’accompagnement éducatif des familles et du lien à développer à et en dehors de l’école. Ce afin, pour reprendre une formule qui m’a beaucoup plu, de permettre à l’enfant de "devenir tout ce qu’il est capable d’être".

« La singulière réussite scolaire des enfants d’enseignants : des pratiques éducatives parentales spécifiques ? », par Annie Da Costa-Lasne, janvier 2013. Lisible ici dans son intégralité, ou bien en résumé, annexes ici.

 http://blog.francetvinfo.fr/l-instit-humeurs/2013/05/12/5597.html

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